EXODE

VISITE THÉÂTRALISÉE DU PETIT MOULIN

Visite théâtralisée du petit moulin

Originaire de Kaboul, Asif Rahmani questionne à travers son art les liens subtils entre immigration et identité. Il est des voyages qui changent une vie à tout jamais. Qu’il s’agisse de déplacements physiques ou de cheminements intérieurs, ces voyages sont autant de parcours initiatiques qui bouleversent notre manière de voir le monde et font de nous des personnes différentes de celles que nous étions. Une exposition saisissante qui nous emmène à la découverte de ces récits, de leurs auteurs et nous livre par la même occasion une épatante ode à la tolérance.

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SCÈNE 1

(Les spectateurs sont dehors et attendent de rentrer. La scène se passe dans l’entrebâillement de la porte.)
LINDA. Bonjour à tous et bienvenue au Petit Moulin des Vaux-de-Cernay. Je suis Linda et voici mon collègue Allan.
ALLAN. Bonjour et merci d’être venus si nombreux à l’exposition de ce très grand artiste qu’est Asif Rahmani. Malheureusement, tout ne s’est pas déroulé comme prévu ! Nous avons eu un petit souci avec l’avion et l’artiste n’a pas pu arriver à temps. Nous n’avons pas non plus récupéré les œuvres.
LINDA. Oui, nous sommes très embêtés car nous savons que vous étiez venus exprès pour cette exposition ! C’est pourquoi nous avons tout de même eu envie de vous préparer une petite visite.
ALLAN. L’exposition qui devait avoir lieu était sur le thème du voyage donc nous allons parler de voyage, mais d’une manière quelque peu différente.
LINDA. Il y a des voyages que nous faisons physiquement mais il y a aussi des voyages que nous entreprenons à l’intérieur de nous-mêmes…
ALLAN. Tout à fait ! Et pour commencer, nous avons demandé à Tony, un jeune homme assez exceptionnel, de vous parler de sa passion.
LINDA. Allez-y, entrez.
ALLAN. Tony, à toi de jouer.

SCÈNE 2

TONY. Bonjour, je m’appelle Tony et moi ce que j’aime dans la vie, c’est le foot. Je vais vous montrer ce que je sais faire.
(Tony commencer à dribbler mais après quelques jongles, il tombe et se blesse. Linda interpelle les spectateurs.)
LINDA. Y a-t-il un pompier dans la salle ?
NAËL. Oui, moi ! Je suis jeune sapeur-pompier ! Ce qui me plaît dans le fait d’être pompier, c’est de faire partie de quelque chose de plus grand que moi et aussi d’aider les autres. Et puis, j’aime bien la discipline que cela m’apprend. Où est-ce que vous avez mal, monsieur ? (Naël se penche pour effectuer des premiers soins sur Tony.)

SCÈNE 3

(Une voix s’élève dans un coin de la pièce. C’est Héloïse, qui parle d’un souvenir qui a marqué son enfance : elle faisait partie d’une chorale et a chanté devant de nombreuses personnes alors qu’elle était la plus jeune du groupe. Elle chante.)

SCÈNE 4

(Trois hommes se tiennent debout, valise à la main, sac sur le dos.)
ABDEL. Je suis parti d’Afghanistan à cause de la guerre.
(Ils se mettent en chemin avec valises, sacs à dos… La première escale est l’Iran. Il y fait très chaud, les hommes se déshabillent et continuent à marcher. Ils arrivent en Turquie, passent par-dessus des barrières, escaladent des murs.)

SCÈNE 5

KARINE. A mon tour de vous raconter un évènement qui a marqué ma vie. Pour moi, tout a basculé le jour où on m’a diagnostiqué une maladie chronique. D’un côté , j’étais contente car j’avais enfin des réponses aux questions que je me posais. D’un autre côté, j’étais très inquiète car c’était un véritable saut dans l’inconnu. C’était en même très positif et très négatif, c’est drôle ! Aujourd’hui, j’appréhende moins ce genre de choses. Je me sens davantage prête à affronter les épreuves de la vie. Merci de m’avoir écoutée.

SCÈNE 6

(Les trois hommes arrivent en Grèce. Cette fois-ci ils doivent ramper pour traverser la frontière.)

SCÈNE 7

PAUL. Bonjour tout le monde ! Je voudrais vous raconter une histoire qui a marqué la vie de mon ami. A l’époque, il s’est fait virer d’un bus car il n’avait pas de titre de transport et en plus il avait bu.
(Paul joue l’homme bourré. Le chauffeur lui refuse l’accès au bus. Il insiste, finit par entrer. Il fait peur aux autres passagers du bus. Le chauffeur appelle la police. La police arrive et le met dehors.)

SCÈNE 8

(Les trois hommes arrivent en Serbie, mais l’un d’eux est blessé et tombe à terre. Ils s’occupent de lui comme ils peuvent, avec les moyens du bord. Désormais, il faudra l’épauler pour pouvoir continuer à avancer.)

SCÈNE 9

(Une jeune femme danse un évènement qui a marqué sa vie.)

SCÈNE 10

(Les trois hommes arrivent en Hongrie. Un deuxième est blessé. Ils sont très fatigués et éprouvent le besoin de se reposer. Ils vont devoir attendre un peu avant de repartir. L’un d’eux se remet finalement debout, il motive les autres. Ils repartent. Ils arrivent finalement en Autriche. Puis en France.)

SCÈNE 11

LINDA. Nous sommes presque arrivés à la fin de cette visite mais avant de terminer, j’aimerais moi aussi vous raconter mon histoire. Décembre 2021. Je vis en Colombie, j’étudie l’administration publique et j’ai une vie confortable. Mais au fond, j’ai toujours rêvé de voyager à travers le monde pour découvrir d’autres cultures et d’autres langues. J’obtiens mon visa pour partir en France. Janvier 2022. Je dois faire entrer toute ma vie dans une valise, affronter une nouvelle langue et un nouveau pays. Septembre 2022. Jusqu’à présent, je m’amuse bien et les gens avec qui je vis sont devenus comme une deuxième famille. L’expérience est vraiment merveilleuse. Octobre 2022. Même lorsque vous vivez votre rêve, il se passe des choses dans votre pays qui peuvent vous détruire à des kilomètres. La douleur émotionnelle est si forte qu’elle en devient physique. Novembre 2022. Mon cœur est toujours brisé mais mon espoir et ma confiance reviennent peu à peu, grâce à Dieu. Sans Lui, je ne sais pas ce que je deviendrais. Mars 2023. Aujourd’hui, je profite toujours de mon expérience, j’apprends à connaître de nouvelles personnes. La course n’est pas encore terminée. Merci de m’avoir écoutée.

SCÈNE 12

(Tous les comédiens se mettent en rang, par deux. Ils font connaissance puis se serrent la main. La musique démarre et commence une lente chorégraphie sous forme de miroirs. Fin.)

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NOTES DE MISE EN SCÈNE

Jour 1. L’atelier se met en place difficilement. Je n’arrive pas à fédérer le groupe, il y a d’un côté les réfugiés et de l’autre les adolescents. Ils ne communiquent pas entre eux, se regardent à peine. Nous avons aussi beaucoup de mal à nous comprendre. Nous enchaînons les exercices mais je sens que je les perds. Les uns après les autres, ils décrochent. Il n’est pas encore dix-sept heures et moi aussi, je commence à fatiguer. J’ai la sensation de devoir me dédoubler et d’animer deux ateliers à la fois. Je cours partout et ne sais pas encore dans quelle direction aller. Peut-être ai-je eu tort d’accepter un projet aussi ambitieux ? En fin de journée, nous nous mettons par deux et je leur demande de bouger en miroir. De l’extérieur, j’observe le groupe. C’est beau.

Jour 2. Nous commençons l’atelier par une danse. Je veux les voir ensemble sur le plateau. Je veux les voir rire ensemble, bouger ensemble, exister ensemble. Chacun se défoule un peu puis je les sépare : je demande aux adolescents de travailler sur la structure – le squelette – de la visite et aux réfugiés de mettre en scène leur voyage. Quand les groupes ont terminé, chacun montre son travail aux autres. La scène des réfugiés est poignante, ils parlent (ou plutôt ils montrent) ce qu’ils ont vécu et l’histoire me prend aux tripes. Je crois que nous tenons quelque chose. Au tour des adolescents, maintenant. Ils imaginent une scène de famille au musée… Bon. L’improvisation les fait rire mais elle ne « passe pas la rampe ». Le décalage est flagrant entre les deux propositions. Il faut dire qu’il y a de telles différences : d’âge, de culture, de vécu… Cependant, le registre de jeu doit être homogène sinon le spectacle ne sera guère plus qu’un patchwork désarticulé. Une idée me vient : je pourrais les faire travailler sur leur vécu, eux aussi. Chacun pourrait, à sa manière, raconter un voyage ou un évènement qui a marqué ou transformé sa vie. Nous essayons : il n’y a pas photo. Tout est juste : leur corps, leur voix, le ton qu’ils emploient… Oui, nous tenons définitivement quelque chose.

Jour 3. Certains jeunes arrivent avec des réticences, je les sens déstabilisés. Ce n’est pas du théâtre, on a fait que raconter notre vie. Ils n’ont pas tort, ce n’est pas « du théâtre ». Je leur parle de la justesse du jeu, de cette zone de vérité et de sensibilité que l’on recherche lorsqu’on va voir une pièce. Je leur demande s’ils ont ressenti la même émotion dans leur première improvisation (la scène de famille) que lorsqu’ils ont raconté leur souvenir. Clairement, non. Pour moi, quand on voit un spectacle on ne doit pas en ressortir avec le même état que lorsqu’on est entré. Sinon, c’est que ça n’a pas fonctionné. Dans l’idéal, bien sûr qu’il faudrait être capable de retranscrire cette justesse dans une scène dialoguée avec des personnages… Mais compte-tenu de l’échéance que nous avons, nous devons aller à l’essentiel. Cependant, rien ne nous empêche de « théâtraliser » leur vécu pour en faire un objet artistique et non plus la simple exposition de leur histoire. Si au moins, j’arrive à leur faire ressentir cette « justesse », le stage sera réussi.

Jour 4. C’est le dernier jour et il nous reste beaucoup à faire. Tous les comédiens ont leur scène mais maintenant, il nous faut tisser le fil rouge entre chacune d’elles pour véritablement « faire spectacle ». Il nous faut aussi décider des espaces de jeux que nous utiliserons au sein du musée, de la manière dont nous positionnerons les spectateurs, des costumes et accessoires que nous porterons, des lumières que nous utiliserons… Et puis, il nous faut répéter : faire et refaire encore jusqu’à ce que ce soit bien ancré. Je ne sais pas par quel miracle nous sommes arrivés jusque-là mais « la magie a opéré » cette semaine. Je suis épuisé mais tellement fier de leur travail à tous.

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