NUIT D'AMOUR

LA VÉRITÉ DES CORPS

Photo prise en Algérie

Ce texte est le fruit d’un exercice de style : une amie devait me donner dix mots – les dix premiers mots qui lui venaient à l’esprit – et je devais, avec ses mots, écrire un texte sensé en les utilisant dans le bon ordre. Les mots étaient les suivants : maman, Algérie, sac à main, beauté, chocolat, marrant, vêtement, Hermès, fumier, Alexandre.

*****

Maman est morte quand j’avais douze ans.

Si le temps m’a peu à peu fait perdre les traits de son visage, je garde encore en moi le souvenir de son odeur, comme si toujours elle m’avait accompagné et continuerait, d’une certaine façon, de m’accompagner où que j’aille, dans quoi que je fasse.

Je garde l’odeur de ma mère en moi et c’est comme si elle était là toute entière avec moi. Je garde l’odeur de ma mère en moi et son odeur se confond avec celle de l’Algérie où je suis née. Ma mère sent l’Algérie et moi je sens ma mère.

Nue dans le lit de mon mari, je sens ma mère.

Tu pues, il dit.

Maman est morte et les morts puent.

Quand tu jouis aussi, tu sens ta mère. Mon foutre sur toi a l’odeur de la mort de ta mère.

Dans mon sac à main, j’attrape un tissu et essuie mon front, les gouttes de sueur sur mon front, les gouttes de sueur et de sperme qui coulent sur mon front.

Je ne suis pas heureuse, tu sais. Tu ne me rends pas heureuse.

Je sais.

Il se tait.

– À quoi tu penses ?

– À rien. Quand on fait l’amour aussi, je ne pense à rien.

– Je ne sais pas si c’est une bonne chose.

Et il ne répond pas.

Nous vivons notre amour dans le silence de ceux qui ne savent pas l’exprimer. C’est un amour muet et – je le crois – empli d’une beauté mystique que les gens normaux ne savent pas comprendre.

– Parler ne sert à rien. On dit plus de choses quand on fait l’amour. Les corps parlent et ils ne mentent pas. Les corps disent toujours la vérité. C’est la vérité des corps.

– J’ai envie de chocolat, je dis. C’est marrant, je trouve cela marrant que je puisse, que l’on puisse comme cela, si vite, n’avoir envie de rien puis la seconde qui suit avoir envie de chocolat. Tu ne trouves pas cela marrant ?

– Je t’ai mise en cloque, peut-être.

– Va te faire foutre.

Levée du lit, je suis nue encore et dégoulinante du sperme de mon mari.

– Je vais pisser, je dis.

Je chevauche les vêtements au sol, j’entre dans la salle de bains.

Mon corps fébrile de la nuit se frotte contre la serviette. Le visage, les bras, l’entrejambe.

Je frotte la nuit qui me colle à la peau.

J’aperçois par la fenêtre la statue d’Hermès construite dans la cour de l’immeuble que nous habitons.

Je pense au regard de ces fumiers quand je leur dis que je ne sais pas qui est Hermès et qu’ils m répondent que c’est un dieu grec, le messager des dieux grecs.

Je pense au prix que peut bien coûter une statue de messager de dieu grec et cela me donne la nausée.

Je pense que des gens crèvent la faim pendant que d’autres construisent des statues dans leur jardin. Hermès, si tu m’entends, tu n’es qu’un fils de pute.

– À qui tu parles ?

C’est la voix de mon mari que j’entends à travers la porte.

– Je ne me suis pas rendue compte que je parlais tout haut. Depuis combien de temps je parle ?

– Je ne sais pas. Je n’écoutais pas. Il reste du chocolat, tu en veux ?

– Plus tard, Alexandre. Plus tard.

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